"L'écologie est une question de justice sociale"

Prendre soin de notre planète est directement lié à une question de justice sociale. Le chercheur et théologien Guillermo Kerber nous explique pourquoi.

SHARE
Aerial POV view Depiction of flooding. devastation wrought after
|
23 octobre 2023
|
Vivre

Sorti en mars 2023, l’ouvrage « Penser les relations écologiques en théologie à l’ère de l’Antropocène » est le résultat de cinq ans de travail d’un groupe de théologiens passionnées d’écologie. Loin d’aborder uniquement la question environnementale, ces textes nous révèlent également à quel point prendre soin de notre Terre est une question de justice. Entretien avec Guillermo Kerber, co-directeur de l’ouvrage.  

 

Pour quelle raison avoir publié cet ouvrage ?
Ce livre a été écrit afin de créer une prise de conscience de la situation critique que vit notre planète. L’ère géologique que nous vivons est la première de l’Histoire où l’action de l’être humain a des conséquences directes sur la destruction des espèces et de l’environnement. Nous ne pouvons, en tant que chrétiens, rester insensibles à cette prise de conscience et aux impacts éthiques qu’elle génère. Mais nous pouvons aussi choisir d’utiliser notre pouvoir pour réparer ce qui a été détruit. Avec ce livre, nous voulons fournir des ressources et éclairer la façon dont nous devons prendre nos responsabilités écologiques en tant que croyants, parce qu’il s’agit également d’une question de justice.

 

Guillermo Kerber explique pourquoi l'écologie est une question de justice sociale et comment elle s'allie avec la théologie
Guillermo Kerber, collaborateur du Service de formation de l’Église catholique romaine du Canton de Genève, chercheur et consultant, spécialisé dans les relations entre écologie et théologie.

En quoi la question écologique est-elle également une question de justice ?
Dans la Bible, nous voyons dès le départ une préoccupation particulière de Dieu pour les pauvres et ceux qui souffrent. Les rapports du GIEC (Groupe International d’Experts sur le Climat) soulignent que les conséquences des changements climatiques impactent particulièrement les communautés les plus vulnérables : les habitants de zones côtières et de petites îles, les populations indigènes et, globalement, ceux qui tirent leurs moyens de subsistance directement de la nature. Par exemple dans les îles du Pacifique, des villages entiers ont dû être déplacés à cause de la montée de la mer, des sécheresses ou des inondations extrêmes. Ces événements, conséquences directes du changement climatique, ont fait migrer des millions de personnes en Afrique ou en Asie, parce qu’elles n’ont pas les moyens de s’y adapter. De plus, ce sont celles qui ont le moins contribué à ces dérèglements, puisqu’ils sont provoqués par les émissions des gaz à effet de serre émanant principalement des pays industrialisés. Notre responsabilité d’agir revêt donc une dimension éthique importante. C’est pour cela que nous parlons de justice climatique.

 

L’un des thèmes principaux que vous abordez est celui de l’interdépendance du vivant sur Terre. Pourquoi est-ce important dans la théologie chrétienne ?
La particularité de l’écologie est que son objet d’étude n’est pas un élément unique mais les interactions entre les différents êtres vivants et leur écosystème. Cela en fait une science de relations. En tant que chrétiens, nous croyons que la nature, le monde, l’univers sont la Création de Dieu. La question des relations dans tout le règne du vivant est particulièrement pertinente pour les chrétiens. Tout d’abord, parce que nous croyons que Dieu est trois personnes. Il y a donc déjà des relations dans notre conception de la nature même de Dieu. En deuxième lieu, nous croyons que Dieu veut entrer en relation avec les êtres humains. L’alliance est un élément biblique central, et elle n’est pas seulement contractée avec les humains, mais également avec toute la Création.

 

Comment cette thématique a-t-elle évolué dans l’Eglise au fil des siècles ?
Dès les premiers siècles et les pères de l’Eglise, nous trouvons dans la tradition chrétienne un profond respect de la Création. Dès le 4ème siècle et l’édit de Constantin, ce que l’on appelle le théocentrisme a marqué les relations du christianisme avec la nature, mais a aussi eu une influence sur les relations des humains entre eux et avec l’Etat. A la Renaissance, le développement de la physique, de la chimie et de la biologie a montré que nous pouvions découvrir comment la nature fonctionne. Dans les Eglises, cela a provoqué des réactions. Durant les quatre derniers siècles cependant, nous avons vu une réconciliation entre science et théologie, qui permet d’avancer dans la compréhension de l’être humain et de son environnement. Nous avons progressivement observé un repositionnement des Eglises à propos de ce que la théologie peut dire sur la nature. Aujourd’hui, tout un pan de la théologie s’est développé à partir de l’écologie, avec la perspective d’analyser les relations entre Dieu, les humains, et la Création, ce que nous appelons éco-théologie.

 

Quels freins à cette prise de conscience existent-ils encore dans les Eglises et pourquoi ?
J’ai beaucoup travaillé sur l’encyclique du Pape Francois et j’ai été surpris de voir qu’il y avait énormément de réactions réfractaires dans l’Eglise. Beaucoup pensent que l’écologie est une idéologie de gauche, que c’est de la politique et que cela ne touche donc par leur foi. Certes, l’écologie implique des dimensions politiques, mais qui ne sont pas partisanes dans la nature même de ce qu’elle représente.

 

Comment souhaitez-vous amener les chrétiens à reconsidérer l’importance de la thématique environnementale dans leur foi ?
La tradition biblique et l’histoire des églises nous enseigne sur la nécessité de changer notre mode de vie. C’est le concept théologique de la conversion, qui n’est pas une chose que l’on fait une fois pour toute mais que nous devons réitérer chaque jour. Une partie de cette conversion quotidienne peut être écologique. Sans dimension partisane, elle représente la manière dont nous traitons et respectons la Création de Dieu et la façon dont nous interprétons la Bible avec des critères scientifiquement écologiques. Dès lors, nous pouvons nous interroger : comment pouvons-nous « réinterpréter » la Bible à la lumière de ces connaissances pour nourrir notre foi et nous pousser à cette conversion dans nos habitudes personnelles et communautaires, mais aussi dans une perspective de plaidoyer au niveau des instances des communes, des villes et des pays sur des décisions qui affectent notre vie sur la planète ?

 

Cet article a été publié par StopPauvreté dans le Christianisme Aujourd’hui du mois d’octobre 2023.

 

Penser les relations écologiques en théologie à l'ère de l'AntropocèneVous pouvez vous procurer l’ouvrage “Penser les relations écologiques en théologie à l’ère de l’Antropocène” sur le site des Editions du Cerf.

 

 

 

Si vous l'aimez, vous pouvez le partager

Articles similaires

Design ohne Titel - 1

Présentation des résultats de l'étude Justice et Durabilité à la Conférence StopPauvreté à Bienne.

8 avril 2024
RS45496_RuthTowell_01_RET_0327 (1)

BANGLADESH Dans le cinquième pays au monde le plus affecté par la lèpre selon l’OMS, Mission Lèpre poursuit la mise en œuvre du programme Learning 360, dont le but est de renforcer les compétences des populations vulnérables grâce à l’éducation.  

21 mars 2024
Two homeless little girl walking in destroyed city, soldiers and

Le conflit entre Israël et le Hamas nous rappelle que la guerre est une réalité pour beaucoup. Comment pouvons-nous agir pour la paix, ici et au loin ? Entretien avec Salomé Richir-Haldemann, nouvelle coordinatrice de StopPauvreté, impliquée dans le réseau « Church and Peace ».

7 mars 2024
Inscrivez-vous pour recevoir notre lettre de nouvelles